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Souvenirs de Carême


J'ai toujours détesté la fête des pâques, particulièrement les vendredis Saint durant mon enfance. Il y avait trois choses que je détestais durant cette période. Par contre, il y avait un aspect culturel très original qui me plaisait bien.

La première chose que je n’aimais pas, c'était les fameux pèlerinages auxquels je devais assister avec l'ensemble de ma famille. On marchait des kilomètres en chantant et une fois arrivés à destination on participait à la messe et après on retournait chez nous en refaisant les mêmes kilomètres. Bien entendu, certains s'en amusaient parce que pour eux c'était un moyen de pique-niquer ou de prendre du bon temps.

La deuxième chose que je détestais c'était la nourriture traditionnelle qui était composée de nos fameux « bòy », ou « dombrey » pour certains, à base farine manioc, de sauce de morue ou hareng saur et purée de poids blanc. On n'avait pas le choix. Soit on en mangeait, soit on crevait. En général, je prenais l'option de crever parce que plus tard, dans la soirée, ma mère nous préparait toujours quelque chose d'autre. Je n'ai jamais aimé la farine à base de manioc. Donc, c'était toujours compliqué pour moi. Comme je ne mangeais pas trop dans le temps, ce n'était pas un « big deal » pour moi de rater le repas de midi.

La troisième chose, c'étaient les affrontements des groupes de « Rejman », une catégorie de Rara un peu typique à la zone de Saint-Louis du Nord. J'aimais bien les groupes de « Rara » bizarrement, particulièrement les bandes dénommées « Bann Zonbis ». Ce que je n'aimais pas, c'était plutôt l'ambiance qui entourait les groupes dénommés: « Rejmans ». Chez nous les groupes de Raras sont classés en trois catégories:

1) "Rejmans",

2) "Bann zombis"

3) "Malongos".

Les groupes dénommés "Rejmans" avaient beaucoup de supporteurs dans le centre-ville. J'aime bien leurs costumes et certains shows qu'ils offrent en spectacle . Ils jouaient un rythme endiablé et rapide. C'était comme s'ils allaient en guerre. C'est probablement pour cette raison qu'ils s'affrontaient quand deux groupes rivaux se rencontraient. Contrairement aux groupes "Banns zombis" qui donnaient des shows jusqu'au samedi d'eau bénite, les groupes de Rara finissaient leur show les vendredis Saint dans l'après-midi et parfois cela se soldait par des affrontements.

A chaque vendredi Saint, il y avait toujours des affrontements, particulièrement tout près de la maison de mes grands-parents à Desgranges, petite localité de Saint-Louis du Nord. On laissait le centre-ville, là où habitaient mes parents pour aller chez mes grands-parents pour pouvoir assister aux shows des groupes de « Raras ». Les « Rejmans » étaient très connus pour leurs affrontements sanglants soit avec des jets de pierre ou avec des machettes. On dénombrait souvent des blessés graves. C'était comme si ces groupes prenaient un malin plaisir pour commencer les hostilités devant le carrefour ou se situait les habitations de mes grands-parents. Durant ces moments de frayeur c'était les toitures en tôle de leurs trois petites maisons qui en faisaient les frais. A ce moment-là on devait fermer toutes les portes, se mettre à l'abri pour ne pas être victimes de ces fous de la culture qui font de la polémique violente et stérile. On ne connaissait pas vraiment la raison de ces affrontements. Mais on y assistait à chaque vendredi Saint.

J'aimais les « Malongos » et les groupes de « Bann zombis ». Ils jouaient une musique lacinante et langoureuse. C'était comme si leur musique vous raconte une histoire. Les « Malongos sortaient généralement la nuit et se composaient pour la plupart que de deux hommes travestis en femme accompagnés de deux ou trois tambourineurs. Ils portaient toujours des robes noires et des perruques et dansaient sur des bâtons ou parfois dansaient avec des bâtons comme support pour leurs mouvements corporels. Parfois, il y avait qu'un seul homme qui dansait. C'était le cas pour le fameux "Flesh » qui est très populaire qui faisait le malongo mais qui n'avait pas de musiciens avec lui. Je n’ai jamais su son vrai nom. Toute le monde l’appelait « Flesh » Il était le chanteur et le musicien en même temps. Sa voix et ses mains étaient ses instruments. Le cas de « Flesh » était atypique parce que Flesh était d'abord c’était clairement visible qu’il n’avait pas toute sa tête. Deuxièmement, il dansait pour des montants dérisoires contrairement aux autres groupes « Malongos » qui se faisaient payer correctement. « Flesh » aussi s'habillait en noir. Il parait que c'était le code vestimentaire pour les « Malongos ».

Mais, je n'ai jamais su pourquoi ils s'habillaient en femme. Je n'ai pas eu non plus la curiosité de demander, car, il ne fallait pas se montrer "effronté" à l'époque en posant des questions. A qui d'ailleurs allais-je demander? A mes parents? Au ministère de la culture? N'en parlons même pas. En général, pour le ministère de culture, la culture se réduit au carnaval, aux activités ce qui se font à Port-au-Prince et à Jacmel comme pratique culturelle. On n’a jamais eu un bureau local décentralisé pour ne pas dire départemental ou même communal qui prend en compte ou récence les pratiques culturelles du département du Nord-Ouest voire prend en considération ce qui se fait dans les localités de Saint-Louis du Nord. S'il existe quelque chose à Port-de-Paix ce n'est peut-être pas au su et au vu du grand public.

Bref, pour revenir à mes souvenirs du passé sur la culture Nord-louisienne, il y avait quelque chose de déroutant chez les groupes de « Bann Zombis ». Du lundi jusqu'au vendredi Saint, un homme se faisait passer pour un zombi dans le groupe et recevait des coups à chaque prestation. Il arrivait que le fameux zombi en question se fasse frapper plus d’une dizaine de fois en une journée. Quand le groupe arrivait devant une maison, si le propriétaire de la maison payait le groupe à ce moment-là, « l'homme-zombi » se mettait à jouer et inhalait quelque chose dans un fiole et entrait en transe ou se déconnectait totalement de la réalité. Apres cette mise en scène, le chef du groupe se met à le fouetter vigoureusement. Il recevait les coups en dansant. Parfois il dansait debout pendant que les coups pleuvaient sur son corps en transe. Dans d’autres circonstances, il se couchait par terre pour recevoir les Coups.

Les pro-mystiques disaient que c'était un zombie qui prenait possession de son corps et c'était pour ça qu'il ne ressentait rien quand on lui foutait. D'autres, plus sceptiques comme moi d'ailleurs, pensaient qu'on le droguait pour atténuer la sensation douloureuse des coups de fouet. Je n'ai jamais su d'où venait cette pratique culturelle. Est-ce que les groupes "Bann zombis" mimaient les pratiques de l'esclavage ou bien les pratiques du phénomène de zombification? Encore une fois, je n'ai pas la réponse à ces questions. Mise à part ces aspects étranges de ces fameux bandes de zombis, leur musique était un régale avec leurs instruments originaux composes de "kones", tambours "kata" et la fameuse "manman" tambour. Le rythme musical était très envoutant…

En période de Carême, ce sont ces Souvenirs qui me reviennent toujours. On fait, d'un côté, le jeun, des pèlerinages pour expérimenter ce qu'avait souffert Jésus sous le règne de Ponce Pilate. Et d'un autre côté, on prend la vie aussi du bon côté avec nos pratiques culturelles avec les groupes de Rara. Dimanche matin très tôt les chrétiens allaient à la messe pour célébrer la victoire de Jésus sur la mort après avoir passé soit la semaine en pèlerinage ou à danser le Rara. C'est toujours ce contraste qui est fascinant en Haïti et qui parait toujours déroutant pour certains. La religion et la culture se mélange et s’affronte en même. On ne sait pas où se trouve la frontière entre les deux. Et oui, il ne faut pas voir et regarder seulement Haïti. Il faut la vivre et l'expérimenter dans son ensemble et sous toutes ces facettes.


 
 
 

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